Ces livres qui rendent heureux !

Longtemps, le secret qui lie Clarisse et Ève est tu. Mais leur plus évidente qualité partagée se révèle être leur condition de femmes chavirées mais jamais abattues. Une ode formidable aux forces ineffables qui nous tiennent debout.

Flavie Philipon

« Apaiser nos tempêtes », de Jean Hegland (Phébus)

« Apaiser nos tempêtes », de Jean Hegland (Phébus)

Avec retard, mais non sans passion, la France découvre la littérature de Jean Hegland. Révélée il y a quatre ans avec « Dans la forêt » (publié aux États-Unis en 1996), la revoilà en cette rentrée avec un roman de 2004, enfin traduit en français. « Apaiser nos tempêtes » s'ouvre sur un double choix. Jeune photographe pleine d'avenir, Anna apprend qu'elle est enceinte. Mais elle n'est « pas une mère », pense-t-elle, méditant sur le nombre d'œuvres d'art que le monde perd chaque fois que naît un bébé. En proie elle aussi à une grossesse surprise, Cerise, elle, décide presque sur un coup de tête de garder l'enfant. Deux femmes, deux choix, deux destins… En parallèle, Jean Hegland déroule deux vies marquées par la maternité et l'ambition, mais inégalement frappées par le sort. Une dizaine d'années plus tard, Cerise se débat avec une adolescente rebelle. Anna, devenue une artiste accomplie, en couple avec un homme qu'elle aime, regarde grandir sa petite fille de 4 ans. Mais un simple accroc dans la toile de son quotidien sème le chaos dans sa vie bien ordonnée. Les difficultés l'assaillent, alors que du côté de Cerise, c'est la tragédie qui frappe. Ballottées, chacune à leur manière, dans un monde qui se soucie peu des mères, ces deux héroïnes sont dorlotées par la plume de cette écrivaine empathique et fine, qui prend son temps pour s'attarder sur les petites blessures, les grandes douleurs et les immenses bonheurs qui font une vie de mère.

Clémentine Goldszal

« La félicité du loup », de Paolo Cognetti (Stock)

« La félicité du loup », de Paolo Cognetti (Stock)

Le silence, la solitude et la beauté des paysages ont valeur de signature : dès la première page, peut-être même la première phrase, l'univers de Paolo Cognetti se donne en entier. C'est un monde sans fioritures, imprégné de lumière et de mélancolie, au sommet des Alpes. L'écrivain italien et auteur des « Huit Montagnes » connaît intimement ce milieu puisque lui-même a quitté la ville pour habiter à 2 000 mètres d'altitude. « La Félicité du loup » s'ouvre sur les montagnes et sur Fausto, double à plusieurs titres de l'auteur. À 40 ans, cet écrivain choisit de se réfugier à Fontana Fredda, « dans l'espoir de recommencer ». Sa femme et lui sont séparés, personne ne l'attend. Cognetti excelle dans la description des lieux et des sensations comme dans celle des étreintes du héros et de Sylvia. Elle est serveuse dans le restaurant où Fausto, pour gagner quelques sous, travaille en tant que cuisinier. Ils sont libres tous les deux. C'est Sylvia qui prend l'initiative de le faire monter dans sa chambre. Ils s'aiment avec grâce.

Paolo Cognetti dépeint les couleurs et les odeurs propres à chaque mois du calendrier. Fontana Fredda se métamorphose selon l'épaisseur de la neige et les rayons du soleil. Sylvia part chercher du travail ailleurs, le couple se défait sans heurts ni amertume, c'est rare. Un loup désormais préoccupe les habitants. Cognetti dépose dans ses pages une légère tristesse. Mais par le calme, la sobriété et la beauté qu'il dégage, ce roman a sur le lecteur l'effet d'une pause et d'une caresse.

Virginie Bloch-Lainé

« L'île du Docteur Faust », de Stéphanie Janicot (Albin Michel)

« L'île du Docteur Faust », de Stéphanie Janicot (Albin Michel)

L'auteure de ces lignes le confesse : si on lui avait proposé de signer un contrat lui permettant de retrouver la forme (au propre comme au figuré) de ses 20 ans, ce qui arrive à la narratrice de ce thriller fantastique, elle aurait approuvé des deux pieds et des deux mains, sans même lire les lignes minuscules en bas de page (de toute façon, sans lunettes…). Oui, comme les huit autres patientes enfermées sur l'île du docteur Faust, elle se serait dit qu'un deal chelou vaudra toujours mieux qu'une attaque d'ostéoporose. Blague à part, c'est à un voyage philosophique que nous convie Stéphanie Janicot : nous ne sommes pas égales face au vertige du temps qui passe, et si son héroïne, qui lui ressemble comme une sœur, résiste à la tentation de la jeunesse éternelle, elle ne juge pas ses compagnes qui, elles, pour moult raisons – pas forcément futiles – ont décidé de régler leurs montres à l'envers. Avec finesse et empathie, elle tente simplement de se poser les bonnes questions : qu'est-ce que l'on perd, qu'est-ce que l'on gagne, en avançant dans la vie ? Existe-t-il un moment idéal pour figer le temps, et si oui, lequel ? Un roman poétique et perché, à lire impérativement avant notre prochain rendez-vous chez le médecin esthétique !

Alix Girod de l’Ain